jeudi 9 février 2017

Bérénice : origine du nom

Suite au lancement de la campagne de financement participatif du premier album de Bérénice Bang Bang sur le site de Kisskissbankbank, nous entamons aujourd'hui une série de textes (vieux et moins vieux) autour de la mythologie du groupe.

Pour commencer, un extrait du roman (non publié) de Mill, chanteur, harmoniciste et principal parolier du groupe :




 L'été dernier, à l'occasion de l'un de mes retours de Bécours, Manu m'épingle comme il sait le faire et me confie qu'il envisage de quitter les Barbiches.

« Sept ans que j'y suis, j'ai un peu envie d'autre chose. Tiens, regarde. »

Et il sort une partition de sous la table basse.
J'y pige que dalle. Je suis pas musicien, moi, et les partoches, au fond, c'est juste une fiche technique dont j'ai paumé la vf.

« Oui, c'est très joli, Manu. Des lignes bien parallèles avec des zigouigouis qui traînent par-dessus.

- T'es con... C'est de la guitare classique. Je bosse mes arpèges. »

Pour les néophytes de la gratte, les arpèges, ça se joue avec les doigts. Tu pinces tes cordes, ça fait bling, tu les tires, tu les tapes, t'alternes selon le rythme que t'as choisi pour tes phalanges, et t'obtiens une mélopée entêtante susceptible de poser une cadence différente de celle des accords. Les arpèges, pour moi, c'est la porte ouverte à tous les Dylan, Nick Drake ou Crosby, Stills and Nash.

Alors quand Manu m'apprend qu'il s'y remet, aux arpèges, et pas juste avec le dos de la cuillère à pot, ça jute sévère au fond de mon calcif.

Peu de temps après, Manu me propose de reprendre un vieux projet :
« Bon, on se le monte, ce set de musique latino-américaine ? »

Je dis oui. Avec Manu, faut dire oui. Je savais que c'était le premier pas. Et on y va franco : en quelques après-midi de répétitions feutrées, nous étoffons un répertoire de douze morceaux : Violetta Parra, Quilapayun, Paco Ibañez, la musique de mon enfance, autant dire que c'est dans le fond de mes gênes que ça se passe. J'ai conscience que Manu voulait me débaucher. J'ai conscience qu'il sait parfaitement que je refuserai jamais de chanter ces chansons-là, parce que merde quoi, je les entendais déjà d'une oreille pas finie quand je n'étais que larve dans le dedans de ma mutti. J'ai conscience pourtant qu'y a pas de stratégie, juste le plaisir retrouvé de travailler ensemble, la perspective de reprendre la rue, lui et moi, le duo fondateur, les deux plus barges de la bande, les taureaux, les sanguins... Hal ! Et on finit par y aller, un an plus tard, avec Christophe, prof de son à Studio Meuh, recruté à la guitare d'appoint, au cajon, à la troisième voix. Je baptise notre formation Condorito, du nom d'un personnage emprunté à la culture populaire chilienne : une espèce de volatile au crâne pelé qui raconte des blagues à la Toto, pas franchement du meilleur niveau, mais on s'en tape, ça sonne et tant que ça sonne, tout va bien.

Un jour, je dis à Manu :
« Sans déconner, mec, on va bientôt mourir, tu le sens pas ? Faut qu'on se magne le train si on veut révolutionner la musique une bonne fois pour toutes. Viens, on fait des compos. »

Il se marre, refuse timidement, laisse la porte grande ouverte, attend un mois avant de changer d'avis, me propose d'emblée cinq compos.

« T'es parolier ? Vas-y, écris ! »
Si tu me connais un petit peu, tu sais qu'il faut pas me le demander deux fois.

Manu me chope l'avant-bras de sa putain de grosse manasse d'étrangleur de vieilles dames !
« Attends, y a un cahier des charges. »

Bigre de bigre, ça brille méchant dans le fond de ses pupilles !

« Ces morceaux, je les sens différemment.
- Techniquement, tu les écoutes, tu les entends, voire tu les ois, mais j'ai du mal à t'imaginer reniflant ta guitare...
- Putain, mais ferme-la cinq minutes, merde... Là-dedans, y a pas d'esbroufe, c'est de la chanson, c'est... c'est la maturité, voilà !
- Vu la solennité de ce que tu viens de me sortir, je préfère te demander la permission avant de m'embarquer sur un prodigieux fou rire. Question de respect.»

Malgré la rouste qui s'en suit, j'accède à la demande de Manu : ces chansons doivent raconter une histoire, évoquer des images, ça doit fleurer bon le désert, le saloon et les coups de revolver. Il faut du bucolique, de l'épique et du sens caché. Lâche-toi à fond mais reste sur des rails. Et les rails, ma foi, c'est toi qui les poses, alors commence pas à râler.

Deux mois et dix-huit morceaux plus tard, je dis :
« Il nous faut un nom, mec. »

Manu hausse les épaules.
Traduction : oui, je sais, je suis d'accord. Trouve-le et on en cause.

« J'en ai déjà un, mec. »
Il lève la tête et me signifie du menton qu'il aimerait bien l'entendre.

« Qu'est-ce que tu penses de Bérénice Bang Bang ? »
On a rarement entendu silence plus éloquent.

Froncement de sourcils, narine hélicoïdale, léger frémissement de la lèvre inférieure. Manu, des fois, c'est Gary Cooper avec le regard de Clint Eastwood.

« Laisse-moi deviner : le Bang Bang, ça te cause, mais le choix de Bérénice, c'est pas trop ça, pas vrai ?
- Ouais, voilà. »

J'y vais de mon argumentation à deux balles.

Petit un, l'affect :
« Je sais pas pourquoi, mais ce prénom me traîne dans le crâne depuis l'âge de vingt piges. Le côté désuet mais pas vieillot, tu vois. Et ces deux premières syllabes qui m'évoquent le beretta, suivies d'une douce résolution, le « n », la sifflante finale... C'est un de ces mots qui me touchent, je sais même pas pourquoi... »

Il dit rien, le cow-boy, les yeux plongés sur le manche de sa folk.

Petit deux, la confrontation :
« Ben, vas-y, toi, propose ! Tu crois peut-être que c'est facile de baptiser un groupe de folk-blues-cajun par les temps qui courent ? »

Petit trois, l'intimidation :
« Si c'est ça, tu peux toujours te gratter pour que j'ouvre la bouteille de rouge... »

Et enfin, l'argument décisif :
« Tu sais quoi, on a qu'à googler Bérénice. »

Je m'attelle à cette tâche avec un plaisir non dissimulé. Je tombe sur un article de Wikipédia qui commence comme suit :

« Bérénice (en grec ancien : Berenikê ou Beronikê) est un prénom féminin d'origine macédonienne qui signifie « celle qui porte (berô en macédonien, proche de pherô en grec attique) la victoire »... »

J'interromps ma lecture et jette mes yeux ronds à la gueule de ceux de Manu.

« Celle qui porte la victoire... Heu, on a pas la choix, mec.
- Et tu sais comment elle la porte, la victoire ?
- A coups de revolver !
- Bang bang ! »


Mill, Confessions d'un blaireau, 2015